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Ordres de tuer, Arménie 1915 de Taner Akçam

Arménie 1915

Tous les auteurs de génocide n’envoient pas de télégrammes pour annoncer leur plan et le mettre en œuvre ; c’est pourtant ce qu’ont fait Talaat et de nombreux gouverneurs et fonctionnaires qui ont ainsi laissé une quantité de traces sans équivoque. De ce point de vue, le génocide des Arméniens aurait dû être le moins nié et pourtant, il l’a été sans discontinuer depuis les débuts de la République kémaliste par les différentes instances de pouvoir en Turquie. Pour nier la réalité du génocide, il a fallu assurer que ces télégrammes, déjà montrés lors des procès de Constantinople, du procès de Soghomon Tehlirian et publiés en partie par l’écrivain Aram Andonian étaient des faux.

En novembre 1918, Naïm Efendi, fonctionnaire ayant travaillé au bureau des déportations d’Alep  en 1915 et 1916, cède à Aram Andonian un ensemble de documents composé de ses mémoires relatives aux « désastres » et de télégrammes contenant ces « ordres de tuer ».

Pour invalider les « documents Naïm-Andonian », deux diplomates turcs, Orel et Yuca, ont publié en 1983 une argumentation remarquablement subtile, mettant en question l’existence même de Naïm Efendi, soulevant des interrogations sur les dates, le codage des télégrammes, la signature des fonctionnaires, etc. Une réussite telle qu’elle a semé le doute jusque chez les historiens chevronnés du génocide, y compris Taner Akçam lui-même à une époque et ce, pendant trente ans. Pour ne pas prêter le flanc à la critique, les historiens du génocide avaient fini par faire abstraction de ces sources, considérant l’intention génocidaire du gouvernenent Jeune-Turc de 1915 de toute façon amplement établie au vu de multiples autres faits.

Dans Ordres de tuer, Taner Akçam revient sur ces documents en suivant les méthodes éprouvées de la recherche historique, notamment par ses recherches aux archives ottomanes d’Istanbul et à celles de la République turque à Ankara. En définitive, il prouve l’authenticité des documents Naïm-Andonian.

En marge de l’Histoire, l’histoire de ces documents est un sujet en soi.

Par exemple, pourquoi Naïm Efendi vend-il des documents compromettants pour son pays à Aram Andonian ?

Où sont passés certains documents photographiés à la Bibliothèque Nubar à Paris en 1950 par le prêtre catholique Krikor Guergerian ? Lorsqu’Yves Ternon demande à les consulter en 1970, ils ont disparu et nul n’explique aujourd’hui comment ni pourquoi.

La lecture du livre de Taner Akçam, si passionnante soit-elle, est donc un travail patient, dans lequel le lecteur est grandement soutenu par l’auteur qui résume régulièrement les étapes de son argumentation dans un souci constant de clarté et de pédagogie.

Certaines archives sur lesquelles Taner Akçam a travaillé sont maintenant consultables sur

https://commons.clarku.edu/guerguerian-archive/

On peut écouter l’interview de Taner Akçam dans l’émission « Le cours de l’histoire »

https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/codees-et-decodees-les-preuves-cachees-du-genocide-armenien

Taner Akçam, Ordres de tuer, Arménie 1915, CNRS édition, 2020, 323 p. 24 €.