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Le cavalier blanc de Hamasdegh

« Dans les provinces orientales, la question arménienne était en grande partie une question arméno-kurde » écrit l’historien Hans-Lukas Kieser[1]. Ce jugement est parfaitement autorisé par le témoignage que présente le roman Le Cavalier blanc. Les autorités turques y forment une entité assez lointaine et abstraite tandis que les exactions des Kurdes, elles, sont bien concrètes, du pillage à l’extorsion, de l’enlèvement des filles aux exécutions sommaires, etc. C’est le quotidien des villages arméniens desquels la violence n’est pas non plus absente. Malgré ce contexte, Mardik, un enfant berger, connaît une jeunesse heureuse avant d’être vraiment rattrapé par la brutalité ambiante.

Contrairement à ses aînés tremblant à l’idée de mécontenter les petits potentats kurdes locaux, il ne supporte pas d’être une victime passive. Sa hardiesse est d’abord la conséquence de sa jeunesse et de son inconscience, elle est ensuite nourrie par sa révolte contre l’oppression. Mardik, le bien nommé, ainsi que les groupes de fédaïs sont les seuls à tenter de faire régner un peu de justice. Les paysans arméniens, dont ils sont les seuls défenseurs, les vénèrent tels des surhommes.

Ce récit est d’une importance capitale pour connaître ce que fut vraiment la vie en Anatolie avant le génocide.

Hamasdegh (Hampartzoum Gelenian), né à Karpert en 1895, est connu pour être un grand écrivain de langue arménienne, mais combien l’ont vraiment lu dans sa langue ? La magnifique traduction de Houri Ipékian donne enfin à cette œuvre une ouverture sur l’extérieur et un accès facile. Cette traduction a été réalisée du vivant de Hamasdegh et en concertation avec lui (p. 9), il y a plus de quarante ans. Pourquoi était-elle restée inédite ? On ne peut que saluer la publication de ce travail par les éditions Parenthèses.

Hamasdegh, Le Cavalier blanc, éditions Parenthèses, 2019, 301 p., 22 €.


[1]H.-L. Kieser, « Réformes ottomanes et cohabitation entre Chrétiens et Kurdes, 1849-1915 », §4 :  « Dans les provinces orientales, la question arménienne était en grande partie une question arméno-kurde, et cette question arméno-kurde, une question agraire relative à la propriété foncière issue du transfert, souvent coercitif, des terres chrétiennes aux musulmans et, avant tout, aux Kurdes. » https://journals.openedition.org/etudesrurales/9218