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24 avril 2020 – Arméniens confinés mais l’esprit en lutte !

Le 24 avril 1915, à Constantinople, des intellectuels et des artistes furent raflés puis déportés parce qu’Arméniens. Si l’entreprise d’extermination avait déjà débuté, cette date marquera du sceau de l’Histoire en ce qu’elle constitue la triste amorce d’un génocide qui fera 1,5 millions de morts.

Cette année, pour la première fois depuis des décennies, les Arméniens du monde entier ne battront pas le pavé pour porter leur revendication de justice et de réparation du génocide.

Jour de deuil, pour nous, enfants d’exilés, de réfugiés, de déportés et de victimes, le 24 avril fut un temps un réceptacle de nos traumatismes et de la douleur, indicible, que chaque Arménien porte en soi. Jour de revendications, ensuite et surtout, pour un peuple capable de se relever du pire et dont la résilience le poussa à la lutte.

C’est ainsi que le 24 avril 1965, cinquante ans après le génocide, en Arménie, le peuple descendit dans la rue pour accuser l’Etat turc moderne d’être responsable du crime et de réclamer en guise de réparation, le retour des terres spoliées. Depuis, pour les Arméniens aux quatre coins du globe, le 24 avril est l’occasion de descendre dans la rue et de manifester pour la justice.

L’entrée dans une nouvelle décennie, marquée par une absence de manifestation du fait de la crise sanitaire qui s’abat sur le monde, est l’occasion de dresser le bilan de la décennie passée. Si d’aucuns invitent à repenser le 24 avril et suggèrent de lui donner une  teneur uniquement mémorielle, nous invitons à raviver l’esprit du 24 avril et à ranimer nos revendications de justice. En 2020, il est temps de déconfiner nos luttes, trop longtemps sacrifiées sur l’autel des intérêts politiques et partisans.


Depuis plusieurs années, nous déplorons une édulcoration du message officiel de la marche du 24 avril : en France, le défilé à la tribune des hommes politiques et leurs discours, toujours compassionnels, quelques-fois insincères, ont éclipsé les revendications de justice. 

Combien ont-ils été, parmi eux et parfois dans nos propres rangs, à faire miroiter à chaque veille d’élection une loi pénalisant le négationnisme ?  Combien savaient pourtant, qu’une telle loi ne passerait jamais l’épreuve des contrôles de constitutionnalité du Conseil Constitutionnel et de conventionnalité de la Cour européenne des Droits de l’Homme ?


De par le monde, la quête légitime d’une reconnaissance du génocide des Arméniens par les puissances internationales a donné lieu à des instrumentalisations géopolitiques grotesques.  Une vigilance de tout instant est nécessaire et appelle à une réappropriation de notre propre histoire et de notre lutte. 


Quel sens voulons-nous donner au 24 avril ? Quémander éternellement une reconnaissance alors que le génocide des Arméniens est devenu une variable d’ajustement stratégique pour les Etats dans leur relation avec l’Etat turc ? Ou bien est-il temps de consacrer nos énergies et nos espoirs dans un combat pour la justice et la dignité de notre peuple ?

Parce qu’elles sont liées à la politique délibérée d’un Etat oppresseur et ultra-nationaliste, les revendications des Arméniens et des Arméniennes ne pourront être audibles que si elles s’inscrivent dans une démarche globale et collective.  La question de la réparation du génocide ne peut être dissociée des quêtes de justice de tous les peuples de Turquie. De manière générale, elle ne peut être séparée des luttes de tous les peuples opprimés.

L’absence de manifestation ne doit pas empêcher l’expression de nos revendications.  C’est aussi l’occasion pour chaque Arménien de réfléchir au sens que doit revêtir, à l’avenir, le 24 avril : une journée au service des calculs politiques et de compromission de quelques-uns ou journée de lutte commune, indépendante et solidaire ?

Arméniens et Arméniennes, nous avons en nous cet esprit d’émancipation. La décennie qui vient peut être le terrain du renouvellement de nos luttes à condition de nous s’inscrire dans cette démarche. De Yerevan à Istanbul, de Buenos Aires à Boston, de Paris à Beyrouth, les initiatives visant à raviver les luttes du peuple arménien se multiplient.

À ceux qui souhaiteraient que les prochains 24 avril soient aseptisés, nous répondons que nous devons nous réapproprier nos luttes. Les injonctions au silence n’ont jamais offert au peuple que le goût amer de l’abandon.

La rue est un espace d’expression collective et d’émancipation qui fait trembler les tyrans et vaciller le cours de l’histoire.  Ce lieu nous a toujours vu nous tenir debout malgré les défis et les obstacles qui nous ont fait face. Souvenons-nous de cela lorsque nous retournerons manifester les années suivante, car oui nous reprendrons le chemin des manifestations dès l’année prochaine.

Le printemps refleurira et nous serons toujours présents pour porter fièrement nos revendications et exiger justice.

Le 24 avril appartient et appartiendra au peuple arménien en lutte !