L’aurore de Selahattin Demirtas
Tant de richesse et de force en un si petit volume !
On connaissait Demirtaş l’homme politique : député et leader du HDP (Parti démocratique des peuples). Accusé de collusion avec le parti kurde PKK considéré comme terroriste par les autorités turques, Demirtaş est emprisonné depuis 2016 et en attente de son procès : il risque 142 ans de prison.
On parlera désormais aussi de Demirtaş l’écrivain. « L’Aurore » (Seher), recueil de nouvelles écrites en prison, est sorti en 2017 en Turquie et tout récemment en traduction française. Un recueil qui manifeste un réel talent littéraire.
Une originalité véritable, un humour inattendu donnant volontiers dans l’absurde, un humanisme sensible se manifestent à travers les treize nouvelles de ce recueil jouant sur plusieurs registres et pouvant aller jusqu’à une violence inouïe.
Dans la première nouvelle (« Le mâle qui est en nous »), l’héroïne est une vaillante femelle moineau vivant sous le toit de la prison et capable de mettre en déroute les sbires de l’État des oiseaux. De même, dans tous les autres récits, les personnages principaux sont des femmes, dont le parcours croise des hommes aux profils variés : sages, immatures, dépressifs, sentimentaux, mythomanes ou franchement répugnants.
La grande élégance de l’auteur est de nous éviter les plaintes sur la condition de détenu ainsi que les pesantes leçons sur la politique. L’arbitraire du pouvoir en Turquie est présent, bien sûr, tout autant que la barbarie, le cas échéant, d’une société emprisonnée dans ses tabous. Le recueil est bien, en un sens, un écrit militant, dédié « à toutes les femmes assassinées, à toutes celles victimes de violences », mais il transcende cette catégorie par son inventivité littéraire. De même que la nouvelle est un genre difficile qui, par sa brièveté, doit aller à l’essentiel, le prisonnier doit puiser la force de vivre et de se développer dans une vie ramenée à l’essentiel.
Selahattin Demirtaş, L’Aurore, éd. Emmanuelle Collas, 140 p., 15 €.