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Plaidoyer pour les chiens, bâtards, fils de chiennes de Philippe Videlier.

Si tout va bien, contrairement aux auteurs ou même simples montreurs de caricatures qui eux, sont condamnés à mort, ceux qui manient l’ironie, plus subtile, ne devraient pas être inquiétés, pour l’instant. Non pas que l’ironie soit moins mordante, mais parce que, pour la comprendre, il faut à la fois de la culture et de l’humour, deux qualités qui manquent cruellement aux fanatiques et autres adorateurs de sultans. Seulement, même sans la comprendre, ceux-ci peuvent facilement saisir qui est brocardé et de là naît un risque. Même les moins blagueurs des fans d’Erdogan sentent que la une de Charlie représentant l’idole en slip, une bière à la main et plaisantant sur Mahomet en découvrant le postérieur d’une femme voilée, le tout avec le commentaire « Dans le privé, il est très drôle », n’est pas l’œuvre d’un hagiographe. Et un ministre turc de « touiter » en traitant les caricaturistes de « bâtards » et « fils de chiennes ». Les grands mots sont lâchés ! Car le rapport des Turcs et des Azéris aux canidés, c’est toute une histoire, surtout depuis la « rafle » et la « déportation » des chiens d’Istanbul en 1910 au nom de « l’ordre » et du « progrès » sur un îlot désert face à la Ville, où ils pouvaient à loisir hurler et s’entredévorer.

Mais le « chien », la « chienne » et le « bâtard » sont bien sûr aussi des insultes charriant des symboles et, des victimes de ces insultes, Philippe Videlier se fait l’avocat, lui dont la plume acerbe a, depuis Nuit Turque, maintes fois montré la portée politique du sarcasme et de la dérision.

Toutefois, la réalité fait parfois la moitié du travail. Est-ce Philippe Videlier qui a inventé qu’Erdogan (qui, en réalité n’a pas fait d’études) « était hautement diplômé » et « totalisait plus de quarante doctorats honoris causa » ? En Turquie même (à l’université qui porte son nom), au Khazakstan, au Turkestan, en Bosnie, en Ouganda, et autres grands pays connus pour leurs recherches universitaires ? Est-ce Videlier qui a eu l’idée de créer un « Prix Kadhafi international des Droits de l’Homme » ? Et quel farceur l’a décerné en 2010 à Erdogan ? Erdogan qui est, lui-même, on le sait, grand amateur de jeux de mots comme on le voit dans le titre de la pièce jadis écrite et mise en scène par lui : Maskomya. (Pour ceux qui ne déchiffrent pas d’emblée l’humour erdoganesque : « Mas-Kom-Ya, ce qui signifiait Mason-Komünist-Yahudi, Maçon (pour franc-maçon), Communiste, Juif, tout ce qu’en somme il abhorrait. »).

Le Plaidoyer de Philippe Videlier, en tant que texte bref, vif et engagé, trouve naturellement sa place dans la collection Tracts des éditions Gallimard, à ne recommander ni à quelque loup gris ou sympathisant, ni aux renseignements des ambassades et autres officines des pays cités. Nous sommes tous Philippe Videlier !

Philippe Videlier, Plaidoyer pour les chiens, bâtards, fils de chiennes, Gallimard, Tracts, N° 27, 44 p., 3,90 €. Parution 29 avril 2021.